Karine Faby, la lumière comme une source du regard
« Toute la beauté de la vie est faite d’ombre et de lumière »
La publication d’aujourd’hui est la retranscription d’un fabuleux article, signé par Thierry Scherrer pour le bulletin d’information de l’association « Les Amis du Musée Lalique ». Mise en page de Martine et Clément Rimmely. Direction de la publication Isabelle Burgun Mulheim.
Couverture : ©RENÉ LALIQUE devant de corsage Serpents
Photographe par passion et dans le même temps photographe de la réflexion longuement mûrie, Karine Faby partage à l’évidence l’affirmation de Léon Tolstoï.
Car il aura été beaucoup question de lumière tout au long de l’entretien qu’elle nous a accordé un après-midi de la fin octobre, alors qu’au-dehors la lumière jouait à cache-cache avec les nuages, dans le ciel lourd et gris de l’automne.
La lumière comme un fil d’Ariane dans le parcours d’une femme aux convictions fortes et pour laquelle le travail, la rigueur et le soin apporté à la prise de vue sont les préalables incontournables à la réussite. Et lorsqu’elle nous parlera de son métier et de la conception qu’elle s’en fait, ce sera toujours avec l’humilité de l’artisan, à l’image des verriers de l’usine Lalique, et avec la foi de celle qui sait intimement qu’elle ne cessera jamais de chercher. Chercher le meilleur angle de vue, la meilleure lumière, le meilleur instant pour déclencher la prise de vue et débusquer alors dans cet instant magique l’âme des choses comme celle des êtres, tous ses sujets même lorsqu’il s’agit d’objets.
Dès le premier instant, à l’heure du rendez-vous, au moment où l’on se salue et où l’on fait connaissance, le premier trait de caractère apparaît, en pleine lumière évidemment : la spontanéité. Si en effet la photographie sera au cœur de l’entretien, les mentors, les temps forts de son parcours et son travail dans l’univers Lalique en seront les points forts, avec un aveu aussi spontané qu’immédiat : « Lalique, c’est un peu ma seconde maison ». Il faut en effet savoir que Karine Faby est l’une des photographes intervenant déjà depuis plusieurs années régulièrement à l’Usine Lalique, à la Villa Lalique, pour les photos culinaires, plus rarement au Château du Hochberg et également au Musée Lalique.
Thierry Scherrer Comment en êtes vous arrivée à la photo ?
Karine Faby : Je suis arrivée à la photo par le cinéma parce que je suis une passionnée de la lumière, de la lumière telle que celle pratiquée jadis par Henri Alekan, directeur de la photographie chez Jean Renoir puis chez Wim Wenders. Les cinéastes dunoir et blanc comme le fut Jean Renoir, appartiennent à un genre qui réclame une grande maîtrise de la lumière. À l’époque où j’avais découvert cet univers, je n’étais encore qu’une adolescente. J’étais alors une jeune fille très timide et c’est la photographie qui m’a plus tard permis de dépasser cette timidité, notamment par l’activité de portraitiste.
Thierry Scherrer Comment définiriez-vous votre démarche de photographe ?
Karine Faby : Ma quête est la quête de la lumière juste. C’est la lumière qui sublime l’objet ou la personne, le sujet, quel qu’il soit. Dans mon approche, je ne vole jamais une image. Il faut établir un lien avec les gens, avec les personnes. Je leur explique toujours ce que je fais et j’essaie d’être très rapide, pour ne pas les crisper. Pour les objets, je cherche aussi à les sublimer, fussent-ils banals. L’un de mes photographes favoris de l’objet est Jean Dayre, un véritable Géo Trouvetou. C’était un inventeur né. Il a d’ailleurs écrit un livre sur tous les effets spéciauxen photographie argentique ». (NDLR : technique ayant précédé l’avènement de la photographie numérique)
Thierry Scherrer Quels ont été votre parcours et votre formation initiale ?
Karine Faby : Je suis scientifique de formation, une chimiste pour être précise, et j’ai travaillé dans un centre de recherche et de développement sur les aliments, à Montréal au Canada. Auparavant j’avais étudié durant quatre ans la chimie organique dans le but de présenter un DEA de géo-archéologie. L’archéologie, c’était une passion. Mais je n’ai jamais obtenu l’indispensable bourse et je suis alors partie au Canada. J’ai aussi mis à profit cette année au Canada pour passer un CAP de photographe, en spécialité de portraitiste. Depuis lors ma passion pour la photographie ne s’est plus jamais démentie .
Thierry Scherrer Cela nous amène inévitablement à ce qui caractérise une photo réussie.
Karine Faby : Une photo réussie, pour le portrait, c’est une photographie qui plaira au sujet, à la personne. Mais sans pour autant la flatter. La personne doit non seulement se reconnaître mais aussi s’accepter, et même s’apprécier. C’est alors qu’intervient le plus beau compliment, celui du sujet qui se reconnaît et qui aime l’image qui lui est renvoyée.
Pour l’objet, c’est plus technique, plus académique. C’est alors que mon côté scientifique ressort davantage. Tant que je n’obtiens pas l’effet de lumière que j’attends et que je recherche, je remets l’ouvrage sur le métier. Et il y a parfois de nombreuses contraintes « environnementales », comme par exemple la chaleur ambiante pour les photos culinaires, qui exigent un important travail préparatoire pour limiter au maximum la durée des séances de prise de vue et n’avoir plus qu’à déclencher la prise lorsque le plat est dressé .
Thierry Scherrer Voilà pour ce qui est de votre parcours et des règles que vous vous fixez, mais comment en arrivez-vous à Lalique ?
Karine Faby : C’est par le comité d’entreprise qui cherchait un photographe pour remercier Sylvio Dentz à la suite de son rachat de la cristallerie. Puis j’ai eu l’occasion de faire le reportage des médaillés de l’entreprise et ensuite les choses se sont enchaînées jusqu’à ce que l’on me demande de faire des photographies de catalogue et des photos de « savoir-faire », pour le magazine Lalique, montrant des verriers au travail. À ce titre il est important pour moi de photographier la personne plutôt que le seul détail d’une main à l’ouvrage car il ne faut jamais oublier que ce sont des hommes et des femmes, avec leur histoire, leur vécu et pendant les prises de vues je les écoute. Je connais probablement chacun et chacune d’entre eux. Je les salue par leur prénom. La fréquentation du musée, pour lequel je travaille également (pour l’archivage photographique de toutes les pièces en réserve, également pour les expositions temporaires), a beaucoup contribué à ma découverte de la beauté de l’objet Lalique et ma collaboration avec mes interlocutrices du musée m’a beaucoup enrichie de ce point de vue.
Thierry Scherrer. L’usine Lalique compte dans ses rangs plusieurs « M.O.F.» et vous-même venez d’accéder à cette prestigieuse distinction. Racontez-vous.
Karine Faby : En janvier de l’an prochain, j’en serai à 27 ans de vie professionnelle de photographe. C’est mon ami et mentor Philippe Gaucher, lui-même promu au rang de M.O.F. dès l’âge de 35 ans, à l’époque de la photographie argentique, qui m’avait dit un jour, en parlant de l’un de mes sujets : « Ça, c’est un bon sujet de M.O.F.». Et l’expression m’est restée et a lentement mûri.
Puis le moment est venu pour moi de me confronter à mes pairs. La préparation m’a pris 9 mois. Les sujets étant imposés, il m’a fallu faire des recherches spécifiques pour répondre aux impératifs du cahier des charges. J’ai été distinguée dans l’option « photographie industrielle », qui se définit par tout ce qui n’est pas portrait de famille, c’est à dire le culinaire, le sport, l’industrie, la publicité, l’architecture. Les sujets étaient par ailleurs très variés, allant du plus traditionnel (une bouteille de vin d’Alsace avec le verre à vin, traité à la manière d’une nature morte dont je cherchais le clair-obscur à l’image d’un Vermeer, mon peintre préféré, avec Gustave Caillebotte et Edward Hopper) au plus inattendu (4 coudes en PVC, de diamètres différents, pour un fabricant). Il m’a fallu de longues réflexions pour m’approcher au plus près de ce qu’attendait le commanditaire. J’y ai passé des nuits blanches. Le détail a une importance presque démesurée car l’on peut se fourvoyer en voulant bien faire. Il faut toujours penser à celui ou celle qui regarde la photo et au message qu’elle est censée transmettre, surtout en matière de photographie publicitaire par exemple. J’ai été chaleureusement félicitée par les verriers lorsque j’ai obtenu le M.O.F. et l’on m’a même demandé de mettre ma veste de M.O.F. pour un prochain passage à l’usine.
Thierry Scherrer Cette attention au détail, à la préparation minutieuse, exclue-t-elle l’imprévu, l’inattendu, le hasard ?
Karine Faby : Parfois un élément apparaît au tirage, qui n’était pas apparu à la prise de vue et cela aussi m’est déjà arrivé. C’est Louis Pasteur qui avait dit « Le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Je me suis déjà sentie favorisée par le hasard dans mon travail de photographe et je pense que c’est une récompense pour le travail déjà accompli et le soin que l’on met dans ce que l’on fait.
Thierry Scherrer Quel est l’aspect de votre métier que vous aimez souligner, voyez-vous des menaces peser sur lui, comme par exemple l’essor de l’intelligence artificielle (I.A.) ?
Karine Faby : J’ai la chance, la très grande chance de pratiquer un métier d’une grande diversité et je ne fais jamais deux fois le même sujet. Je ne sens pas mon métier menacé par l’intelligence artificielle. D’autres menaces ou dangers le guettent mais pascelui-ci je pense.
Thierry Scherrer Pour conclure, vous connaissez désormais bien l’univers Lalique. Y-a-t-il une pièce particulière que vous aimeriez acquérir ?
Karine Faby. (spontanément) : La panthère Zeila, le petit modèle ! J’aime les félins, leur élégance. Zeila est à l’affût, elle avance vers une proie et elle me captive.
La conclusion de Thierry Scherrer
L’entretien prend fin alors que déjà la lumière au-dehors décline. Un large sourire éclaire le visage de Karine Faby, femme et photographe au profil atypique dans le meilleur sens du terme, reconnaissant elle-même avec naturel ne pas vouloir « être dans les normes ». Loin de la détourner de ses objectifs, les défis la motivent au contraire, elle qui poursuit une double quête, celle de lumière et de la recherche du mouvement car c’est une véritable gageure que de représenter la furtivité du mouvement avec un art statique. Pour le photographe américain Aaron Siskind la photographie est une façon de ressentir, de toucher, d’aimer. Trois verbes que Karine Faby sait visiblement conjuguer et appliquer avec grande sincérité à sa démarche de photographe engagée sur un chemin qui la mènera encore loin, encore haut.
Mes remerciements et une immense gratitude
Je tiens à remercier très chaleureusement Isabelle Burgun Muhleim qui m’a proposé cet entretien. J’ai passé un moment très agréable en compagnie d’Isabelle et de Thierry Scherrer qui a admirablement mené l’interview et très fidèlement retranscrit mes propos.
Un grand merci également et beaucoup de reconnaissance à la cristallerie Lalique, ses verriers, … pour toutes ces heures passées ensemble. C’est toujours le même émerveillement depuis 15 ans.
Sans oublier Véronique Brumm et Anne-Céline Desaleux du Musée Lalique. Leurs connaissances, leur passion, leur implication m’impressionnent. Leur désir de transmettre tous ces savoirs les honore.
Good luck 🙂